Page 104 - LJC Francais
P. 104
LES DEUX TRADITIONS
L’accusation coranique selon laquelle certains juifs auraient
modifié la parole de D-ieu (2, 75 ; 7, 162), ne concerne évidemment
que les faux prophètes de la période du premier Temple. C’est eux
qui jadis s’opposèrent aux vrais prophètes et substituèrent
403
d’autres paroles à celle de D-ieu .
La thèse musulmane selon laquelle les juifs auraient falsifié
leur propre tradition pose encore problème. Le Coran précise que
Jésus a respecté les commandements de la Torah. Selon les
Évangiles, il les aurait accomplis comme le commun des juifs et il
404
exhortait ses adeptes à surpasser les pharisiens . Paul qui a
établi la religion chrétienne aurait été pharisien, fils de
405
pharisien . Il admettait que les juifs se devaient d’accomplir les
commandements dans le respect de leurs traditions . La thèse qui
406
présente la tradition juive comme falsifiée est donc aussi en
contradiction avec les Évangiles que le Coran tient pourtant en
haute considération.
Mohammed exhorta de croire aux écrits des prophètes sans faire
de différence entre eux : « Il a fait descendre tawrâta wa-l-’injîl
[la Torah et les Évangiles] » (3, 3) ; « Nous croyons en D-ieu, à
ce qu’on a fait descendre sur nous, à ce qu’on a fait descendre sur
Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et les Tribus [les douze enfants de
Jacob], et à ce qui a été apporté à Moïse, à Jésus et aux prophètes
de la part de leur S-eigneur. Nous ne faisons aucune différence
entre eux » (3, 84). Il reproche aux juifs de faire une différence
entre les prophètes, de ne pas reconnaître Jésus-Christ comme l’un
d’eux et de rejeter son message : « Lorsqu’on leur dit [aux
juifs] : Croyez à ce que D-ieu a révélé [à Jésus], ils répondent :
Nous croyons aux Écritures que nous avons reçues. Mais ils
rejettent le Livre [l’Évangile] venu ensuite, qui confirme
cependant le leur » (2, 90-91). Si pour les juifs, les Évangiles ne
sont en effet que l’expression d’une hérésie, les chrétiens par
contre n’ont pas rejeté les textes de la Bible juive ; ils les
considèrent comme sacrés. La thèse musulmane que nous venons de
citer est donc aussi en contradiction avec le Coran.
En effet, l’islam à ses débuts connut les mêmes difficultés que
407
le christianisme. Ses lois , mais aussi ses dogmes, furent l’objet
de divergences continuelles qui ne concordent pas toujours avec son
texte fondateur : le Coran.
Au cours de l’histoire, de nombreux chrétiens se convertirent au
judaïsme, ce qui ne fut que très rarement le cas d’un musulman.
Cela ne peut être dû uniquement à la menace d’être condamné pour
403 Rois II 17, 9 ; Ézéchiel 13 ; Jérémie 14, 13-15 ; 23.
404 Matthieu 5, 17-20 ; voir aussi Jésus Hanotsri (Jésus le Nazaréen) de J.
Klausner, Jérusalem, 1933.
405 Actes, 23, 6.
406
Les premiers chrétiens se réclamaient de la Loi de Moïse et étaient assidus au
Temple, mais ils furent réduits au silence par la tendance paulienne de l’Église
naissante. Cette dernière désirait séduire le monde païen et se démarquer du
monde juif en guerre ouverte contre Rome. Paul décida de favoriser la conversion
des païens au détriment des judéo-chrétiens de Jérusalem et tenta de détruire le
judaïsme. « Là où il y a un testament, il est nécessaire de prouver que celui qui
l’a établi est mort. En effet, un testament n’a pas d’effet tant que son auteur
est en vie ; il est valide seulement après la mort de celui-ci » Hébreux 9, 16-17.
Il a fallu attendre Vatican II pour que l’Église reconsidère le concept de la
Nouvelle Alliance rendant caduque l’Ancienne.
407 La chariah, le fikh (jurisprudences) et l’ijmah (le consensus de la commu-
nauté).
104